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pagné de mille malédictions. Nous apprîmes avec horreur qu’il pouvait exister des hommes capables de trahir l’empereur et leur pays. Quel intérêt ils y trouvaient, on ne réussit pas à nous le faire comprendre. L’honnête Sylvain Rondeau, paysan robuste dont notre père avait fait un domestique, tenta vainement de nous l’expliquer ; mais le résultat de la trahison ne nous apparut que trop clairement, lorsque nous vîmes les soldats prussiens établir leur cuisine dans les parterres du Luxembourg et souiller l’eau du bassin en y lavant leurs chemises. Sur la place de l’Odéon, nous trouvâmes la première proclamation du roi Louis XVIII. L’affiche était fraîchement apposée ; je me jetai dessus et je la déchirai ; le prudent Sylvain fut obligé de m’entraîner de force. La discorde régnait dans le salon de notre mère. La moitié de nos amis étaient déjà pour le nouveau régime ; on se querellait à s’arracher les yeux. Heureusement le printemps arriva, et on nous conduisit à Bagneux chez notre grand’tante Denoux.

Des hussards hongrois étaient logés dans les communs et les écuries de la maison de Bagneux ; mais on ne les voyait presque pas. Un d’eux, vieux sous-officier d’une figure belle et martiale, me prit en amitié. Du plus loin qu’il m’apercevait, il me faisait signe d’approcher ; je posais mon pied sur le banc de pierre de l’écurie et il cirait mes souliers avec application. Pendant cet exercice je lui disais, sachant bien qu’il