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poche, et je m’en vais. Dans notre salle à manger, je rencontre M. le général de Berthois, un de nos meilleurs et de nos plus anciens amis ; j’entre avec lui au salon. Au moment où je prends un siège pour m’asseoir à côté du général, quelqu’un me tire par la manche de mon habit. Je me retourne, et je vois mon frère qui me suivait pas à pas, d’un air sérieux et affairé. Il se penche à mon oreille et me dit tout bas : « La clef ; donne-moi la clef. »

Je la lui rendis, et je ne la revis plus. La grande mesure de prudence avait duré un peu moins d’une minute. Les cinq mille livres ne furent point placées sur l’État. Jamais Alfred de Musset n’eut entre les mains ni une inscription de rente, ni une action de chemin de fer. Sur cet article, il n’y avait pas de conseil à lui donner. C’était, d’ailleurs, en toutes choses, l’homme le plus indépendant, tout entier à ses impressions et gouverné par sa fantaisie. Perpétuellement il lui arrivait de sortir avec l’intention d’aller dans un endroit, et de changer d’idée à moitié du chemin. Du quai Voltaire, où il demeurait en 1840, la distance n’était pas grande pour aller rue des Beaux-Arts, à la Revue des Deux-Mondes. Un soir, il y devait retrouver à dîner plusieurs de ses collaborateurs, et il avait accepté une invitation avec plaisir. En descendant son escalier, il se demande quels seront les convives, et près de qui sa place sera marquée. Tel voisin lui plairait fort ; mais le lui donnera-t-on ?