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d’apprendre que, pour son petit-neveu, le plus grand bonheur qu’on pût imaginer, c’était d’aller dîner chez elle. Combien de fois, depuis ce temps-là, quand je voulus me mêler de lui faire des remontrances, Alfred m’a-t-il répondu : « Oui, la poutre me tombera sur la tête, et toi, tu iras dîner à Bagneux ! »

Je n’exagère pas à plaisir en disant que son premier amour date de l’année 1814 ; et cet amour, pour avoir été enfantin, n’en fut pas moins profond, bien qu’il se soit changé en amitié longtemps avant l’âge des véritables amours. Alfred n’avait pas quatre ans, lorsqu’il vit entrer chez sa mère une jeune fille qu’il ne connaissait pas. Elle arrivait de Liège, qui n’appartenait plus à la France, et elle raconta les péripéties de la guerre d’invasion et les contre-coups qu’on en avait ressentis à Liège, où son père avait été magistrat de l’empire. Le récit était émouvant, et celle qui le faisait s’exprimait avec une grâce remarquable. Le bambin en fut frappé. Du canapé où il se tenait assis au milieu de ses jouets, il écouta jusqu’au bout, sans dire mot ; puis il se leva pour venir demander le nom de cette jeune fille.

« C’est, lui dit-on, une cousine à toi ; elle se nomme Clélie.

— Ah ! elle est à moi, répondit-il ; eh bien, je la prends, et je la garde. »

Il s’empara d’elle, en effet, et il lui fit raconter, outre l’histoire de la guerre d’invasion et du retour