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Le 11 du même mois, l’auteur eut trente ans accomplis. Ce matin-là, je lui trouvai dans l’air et le maintien plus de gravité qu’à l’ordinaire. Il s’informa de l’heure précise de sa naissance. Je compris le sujet de ses réflexions, et nous en causâmes longuement. « Je touche, me dit-il, à une période climatérique de ma vie. Voilà dix ans, et même un peu plus, que j’ai dit au public mon premier mot. Tu sais ce que j’ai pensé, ce que j’ai souffert ; tu connais mon bagage, et du dois l’estimer ce qu’il vaut. Tu peux apprécier mieux que moi où en est ma réputation. Réponds-moi donc sincèrement : trouves-tu qu’on me rende justice ? »

Je répondis sans hésiter que non.

« Je le pensais, comme toi, reprit-il, mais je craignais de me tromper. Le public est en retard avec moi. Il se fait autour de mes publications un silence qui m’étonne. Je n’ai pas la moindre envie de jouer le rôle de grand homme méconnu ; mais après dix ans de travail, j’ai le droit de me retirer dans ma tente. Je veux bien dire que j’ai été jusqu’à présent un enfant ; mais je ne veux plus que les autres me le disent. On me rendra justice, parce qu’il en est temps ; sinon, je me tairai. »

Alfred veilla fort tard dans la nuit du 11 décembre 1840, ce qui n’a rien d’extraordinaire puisqu’il se mettait bien rarement au lit avant deux heures du matin. Ce fut, selon toute apparence, pendant cette