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tous ; nous n’avions pas la seconde vue des poètes.

Il fallait toujours qu’Alfred fût amoureux, et il l’a toujours été ; quand j’oublie de le dire, on peut le sous-entendre. Sa double admiration pour Pauline Garcia et Rachel passait en lui de l’esprit jusqu’au cœur, à la sortie du théâtre, chaque fois qu’il les entendait. C’était dans ce moment-là qu’il aurait dû écrire l’historiette du double amour de Valentin pour la marquise et pour madame Delaunay. Il en aurait fait certainement un récit où l’on aurait trouvé de curieuses analyses de sentiments. Cette nouvelle a été composée trois ans trop tôt. La part de l’idéal eût été plus belle, puisque le héros n’aurait été qu’un amoureux et non un amant.

Pendant l’hiver de 1840, la période agréable de cette double inclination était finie. Je m’aperçus que le poète, un peu désabusé, préoccupé de ses engagements, ennuyé des exhortations au travail et des remontrances, ne voulait plus confier ses chagrins à personne. Dans les parties de plaisir auxquelles ses amis l’invitaient, il s’amusait encore de la gaieté des autres, mais la verve de Fantasio l’avait abandonné. Sa tristesse se trahissait dans toutes ses paroles ; elle nous gagnait à nos repas de famille. Un soir, après un dîner chez le traiteur à frais communs, avec Tattet et quelques autres amis, — on avait fait bonne chère et bu plus que de raison, — les convives, en disposition de se divertir, cherchèrent Alfred en sor-