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l’esprit et du cœur. On a vu, par les détails rapportés au chapitre précédent, à quel point mon frère se trouvait malheureux. Son refus de publier l’ouvrage annoncé par la Revue compliquait sa situation, et cependant ni ses engagements ni mes exhortations au travail ne purent le déterminer à revenir à la prose pour laquelle les romans-feuilletons lui inspiraient une horreur invincible. « C’est en vers, disait-il, qu’un poète peut se permettre de livrer au public l’expression vraie de ses sentiments, et non dans le langage dont abuse le premier venu. »

Le manuscrit en prose qui contenait cette expression vraie fut donc relégué dans un coin ; mais il ne dépendait pas de l’auteur d’enfermer ses ennuis dans le même carton. Une Revue est une espèce de Minotaure. Des quatre cents vers de Silvia, la livraison du 1er janvier 1840 ne fit qu’une bouchée. M. Félix Bonnaire venait trois fois par semaine causer au coin du feu. Ces visites amicales étaient assurément celles du créancier le plus patient et le moins incommode, mais d’un créancier à qui l’on devait ses pensées, son âme, les pleurs de ses yeux. C’est dans ces termes qu’Alfred a toujours parlé de tout engagement de travail pris d’avance. Je confesse que cette exagération me semblait déraisonnable. Comme le directeur de la Revue, comme Alfred Tattet, comme la marraine, j’ai quelquefois appelé ces dédains et ce silence défaillance ou paresse. Nous nous trompions