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ceux qui auraient souffert les mêmes tourments que lui.

Dans ce dessein, il s’échappait, un matin, sur l’impériale d’une diligence, et se rendait en Suisse. Il y écrivait à la hâte un fragment de ses Mémoires dans une chambre d’auberge. Au récit de ses souffrances, il ajoutait quelques morceaux de poésie. Le dernier était un adieu à la vie en stances. Il composait de la musique sur ces vers ; et puis il ouvrait sa boîte de couleurs et faisait son portrait.

Je demandai qu’on délibérât sur le dénoûment. L’auteur voulait pousser les choses à l’extrême, précipiter son héros dans un abîme des Alpes, et arranger les circonstances de telle façon que sa mort pût être attribuée à un accident, ou bien procéder plus simplement, et allumer un réchaud de charbon. Je me prononçai contre ce dénoûment sinistre. À mon sens, c’était commettre une injustice envers notre pauvre siècle déjà si décrié, que d’y représenter un jeune homme doué des plus belles facultés succombant sous le poids de maux immérités et dans l’accomplissement de devoirs honorables. Je soumis à l’auteur le dilemme suivant : ou l’on ne croira pas que le héros eût de véritables talents, ou on l’accusera d’avoir manqué de courage et de persévérance ; à quoi le poète me répondit : « C’est affaire à moi de prouver qu’il avait quelque talent ; il suffit pour cela que ses vers soient bons et sa prose éloquente. » La déli-