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un monde nouveau de lecteurs ignorants et à demi-barbares ? Je sais bien qu’elle se tuera elle-même par ses propres excès ; mais, avant cela, elle aura dégoûté les esprits délicats de la lecture. En attendant, je la renie ; désormais, il n’y aura plus rien de commun entre elle et moi, pas même l’ustensile ; je ne veux plus toucher une plume. Dieu merci ! pour écrire un vers, il suffit d’un morceau de craie ou d’une allumette brûlée. »

Les jours et les semaines s’écoulaient. Félix Bonnaire revint de temps à autre demander où en étaient les nouvelles promises. Un jour, Alfred lui répondit : « Revenez demain ; tout sera fini. »

Bonnaire me regarda pour savoir ce que cela signifiait, et je lui fis signe que je n’y comprenais rien. Quand il fut parti, mon frère me dit : « Celui qui s’est laissé mettre dans une impasse, et qui ne peut plus retourner en arrière parce qu’il a l’épée dans les reins, n’a plus qu’à faire un trou au mur et à passer au travers. »

Après le dîner, pendant lequel il parla peu, Alfred s’enferma dans sa chambre. Au milieu de la nuit, je crus le voir entrer chez moi, une lumière à la main, et marcher sur la pointe du pied ; mais il ne fit pas assez de bruit pour m’éveiller tout à fait. Le lendemain, en me levant, je me rappelai cette espèce de vision. Je regardai un certain rayon de ma bibliothèque où je mettais une boîte de pistolets de com-