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tôt, j’attendis patiemment le retour d’une veine laborieuse. Au bout de quinze jours, le poète était moins agité, mais plus sombre. Lorsque, en exécution du traité, on eut mis ordre à ses affaires, il m’avoua le soulagement qu’il en ressentait ; mais il ne se décidait toujours pas à commencer son travail, et il ne voulait même plus parler du peintre Allori. J’éprouvais de véritables remords de l’avoir mis dans cette position critique, ou de manquer à ses engagements, ou de travailler à contre-cœur.

Par un hasard fatal, Alfred trouva, un matin, dans un journal, je ne sais quel feuilleton écrit d’un style plat, où il releva plusieurs erreurs grossières. Avec une sagacité dont je m’étonne encore aujourd’hui, il devina trois ans d’avance que cette littérature nouvelle amènerait bientôt une révolution, et qu’elle corromprait profondément le goût public.

« Tiens, regarde cela, dit-il en me montrant ce feuilleton, et dis-moi si la littérature d’imagination peut vivre longtemps, quand on abrutit ainsi ses lecteurs en s’abrutissant soi-même. »

Je tentai de démontrer que tous les écrivains n’étaient point solidaires des anachronismes contenus dans un feuilleton, et que l’auteur d’Emmeline n’avait pas à craindre d’être confondu avec les fabricants à la mode.

« Eh ! ne vois-tu pas, me répondit-il, que cette littérature de portières va faire sortir de terre tout