Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de détourner le cours de ses idées, et puis il s’alarma en songeant que les crédits extraordinaires allaient se convertir en dettes pressantes. Deux ou trois historiettes devaient fournir de quoi parer à toutes les difficultés. Alfred consentit à chercher avec moi dans ses notes. Il y trouva le plan tracé en six lignes d’un petit roman dont le peintre florentin Christophe Allori était le héros. Il s’enflamma tout à coup pour ce sujet, qui était, en effet, très beau. Nous en causions depuis une heure, lorsque M. Félix Bonnaire entra. Il venait à tout hasard demander quelque morceau, vers ou prose, pour la Revue, et il s’attendait à la réponse habituelle : « Je n’ai rien pondu, ni ne veux rien pondre, ô Bonnaire ! » Ce fut donc une surprise agréable pour lui d’apprendre les projets de travail en question. Alfred se croyait si sûr de ses bonnes dispositions, qu’il s’engagea par écrit à livrer trois nouvelles en trois mois. M. Bonnaire s’en alla fort content d’avoir assuré à la Revue quelques feuilles d’impression. Alfred se félicita d’être débarrassé de deux créanciers qui l’inquiétaient, et je me réjouis à l’idée que le Fils du Titien aurait bientôt un pendant digne de lui.

Mais, dans la nuit, les vents changèrent. Lorsque j’entrai dans sa chambre, le lendemain, mon frère m’accabla de reproches. « Vous avez fait de moi, me dit-il, un manœuvre de la pensée, un serf attaché à la glèbe, un galérien condamné aux travaux forcés. »