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que les premières. La dame aimait les beaux vers, et la poésie lui arrachait l’aveu que l’amour n’avait pas pu obtenir. Cette femme était une personne très intelligente. Au lieu d’absorber les loisirs de son ami, elle l’excitait au travail, en lui disant qu’elle voulait considérer comme autant de preuves d’amour les ouvrages qu’il produirait à l’avenir ; — car ils croyaient tous deux à un long avenir. — J’augurais bien de ces dispositions tant que durerait leur bon accord.

Cet accord dura quinze jours. Le hasard en avait disposé d’avance. La rupture n’arriva pas, cette fois, par la faute de l’amoureux : — sa première leçon lui avait profité ; — mais, tandis qu’il se gardait de la jalousie et des soupçons injustes, un autre jaloux avait tout deviné. La Ninon des stances était destinée à porter un jour un autre nom, dans un récit en prose. Sa situation était celle d’Emmeline, comme je l’ai déjà dit ailleurs.

Ce qui ruinera toujours les amours de ce genre, c’est ce moment de combats intérieurs d’où une femme honnête et loyale croit toujours de bonne foi qu’elle sortira victorieuse. Pourquoi mentirait-elle, puisque sa conscience ne lui reproche rien ? Dissimuler ce qui se passe en elle, ne serait-ce pas s’avouer coupable ? Elle ne veut pas succomber, elle ne succombera pas. — Et puis, un beau jour, l’amour est le plus fort ; la prudence arrive, mais trop tard. —