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convenir qu’on pouvait se résigner à vivre encore.

Aux yeux de bien des gens, ces alternatives de surexcitation et de prostration ne sont que des faiblesses. C’est une erreur : l’insensibilité ne fait pas la force, et mériterait plutôt le nom d’impuissance. La plus grande dose de vie, comme dit le savant Flourens, appartient à l’être qui sent le plus vivement. En plusieurs endroits de ses ouvrages, Alfred de Musset, qui se connaissait lui-même parfaitement, a défini ces organisations exceptionnelles qui font ce qu’on appelle un poète. J’en trouve encore dans ses papiers une nouvelle définition qui me paraît bonne à placer ici.


« N’en doutez pas, c’est une chose divine que cette étincelle fugitive enfermée sous ce crâne chétif. Vous admirez un bon instrument, un piano d’Érard, un violon de Stradivarius ; grand Dieu ! et qu’est-ce donc que l’âme humaine ? Jamais, depuis trente ans que j’existe, je n’ai usé aussi librement de mes facultés que je l’aurais voulu ; jamais je n’ai été tout à fait moi-même qu’en silence. Je n’ai encore entendu que les premiers accents de la mélodie qui est peut-être en moi. Cet instrument qui va bientôt tomber en poussière, je n’ai pu que l’accorder, mais avec délices.

» Qui que vous soyez, vous me comprendrez si vous avez aimé quelque chose : votre patrie, une femme, un ami, moins que cela, votre bien-être, une maison, une chambre, un lit. Supposons que vous revenez d’un voyage, que vous rentrez dans Paris, que vous êtes à la barrière, arrêté par l’octroi. Si vous êtes capable d’une émotion, ne sentez-vous pas quelque plaisir, quelque impatience en pensant que vous allez retrouver cette maison, cette chambre ? Le cœur ne vous bat-il pas en tournant la rue, en approchant, en arrivant enfin ? Eh