Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre la maudite Normande. Alors, Alfred prit sa place à table sans quitter ses habits de Cauchoise, et mangea sa part du dîner qu’il avait si mal servi. Je laisse à juger si le reste de la soirée fut gai. Cette historiette a fait assez de bruit dans ce temps-là pour que beaucoup de Parisiens puissent encore s’en souvenir.

Les mêmes personnes se rappelleront peut-être un écrivain, oublié aujourd’hui, nommé Chaudesaigues, qui faisait de la critique à la tâche dans la Revue de Paris et dans quelques journaux. N’ayant ni talent ni influence, il était un peu envieux et trop naïf pour savoir s’en cacher. C’était un grand garçon pâle, avec une figure de Christ, et qui bredouillait en parlant. Un jour, il arriva, en visite, dans le salon où Débureau s’était montré sous la figure d’un diplomate. Auprès de lui, dans un fauteuil, Chaudesaigues voit un jeune homme blond, qui ne disait mot pour lui laisser la parole. On lui demande ce qu’il pense des publications nouvelles. Il se met à critiquer en expert consommé Rolla, Namouna et le reste, ne concevant rien à l’engouement du public pour des vers qu’il trouve à peine supportables. Le jeune homme blond l’encourage en souriant, opine du bonnet et ponctue par des mouvements de tête approbatifs le discours du démolisseur. Chaudesaigues, ainsi encouragé, s’apprêtait à passer de la critique aux personnalités, quand la maîtresse de la maison l’interrompt tout à