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quelque chose, qu’il le dise ; autrement il ne peut rien représenter dans notre génération, si ce n’est un poète amateur. » Ce reproche devient tout à fait comique lorsqu’on pense que l’auteur de Namouna est précisément le seul poète dont les doutes, les souffrances, les aspirations vers l’infini et la Divinité représentent l’histoire la plus intime du cœur humain dans ce siècle de scepticisme. M. Sainte-Beuve, plus sagace que les autres, avait commencé par exprimer aussi son incertitude sur le sens d’une œuvre qui semblait pleine de disparates ; mais, arrivé à l’analyse de la grande figure de don Juan, il s’écriait : « Si j’ai dit que l’œuvre manquait d’unité, je me rétracte. L’insaisissable unité se rassemble ici comme dans un éclair, et tombe magiquement sur ce visage : voici l’objet de l’idolâtrie. »

Cette unité ne pouvait être, en effet, qu’entrevue par les esprits clairvoyants. Elle n’existait ni dans un poème isolé ni même dans un volume. On la trouve aujourd’hui dans l’œuvre entière du poète. De là vient que, durant quinze ans, de 1830 à 1845, c’est-à-dire depuis les Contes d’Espagne jusqu’au proverbe : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, dernier trait à la peinture de notre société, les gens à vue courte n’ont cessé de répéter à chaque publication nouvelle d’Alfred de Musset : « Qu’est-ce encore que ceci, et où allez-vous ? » À quoi il aurait pu répondre : « Je vais où va le siècle, où nous