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la seconde représentation la pièce reçut à peu près le même accueil que la première fois, et le nom de Lovelace provoqua le ricanement de la bêtise et de l’ignorance. Au plus fort de l’orage, l’auteur s’écria : « Je n’aurais jamais cru qu’on pût trouver dans Paris de quoi composer un public aussi sot que celui-là ! » Prosper Chalas lui écrivit le lendemain pour lui demander s’il se livrait encore aux bêtes le soir. « Non, répondit-il, je dis adieu à la ménagerie, et pour longtemps. »

Les conséquences de cette triste mésaventure sont incalculables. Alfred de Musset, rebuté par un échec dont il sentait vivement l’injustice et la cruauté, ne composa plus d’ouvrages au point de vue de la représentation. Si le public eût prêté l’attention qu’il devait à un auteur de vingt ans, combien d’autres productions destinées à la scène auraient suivi ce premier essai ! L’éclatante revanche du Caprice n’a été prise que dix-sept ans après cette honteuse soirée. Qui peut dire où en serait le théâtre aujourd’hui, si une poignée de Béotiens n’en eût écarté pendant tant d’années le seul écrivain capable d’arrêter la décadence de l’art dramatique ? Peut-être ce genre de littérature qui, depuis le siècle de Louis XIV, a toujours occupé, en France, le premier rang, aurait-il échappé au reproche de dégénérer en industrie. Le public ne peut s’en prendre qu’à lui-même des plaisirs qu’il a perdus.