Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à celle de vous qui en voudra, dès l’instant que je saurai si je suis pie ou autre chose ; car, en vous regardant, ajoutai-je, parlant un peu plus bas à la jeune personne, je me sens je ne sais quoi de tourtereau qui me tourmente singulièrement.

— Mais, en effet, dit la tourterelle en rougissant encore davantage, je ne sais si c’est le reflet du soleil qui tombe sur vous à travers ces coquelicots, mais votre plumage me semble avoir une légère teinte…

Elle n’osa en dire plus long.

— Ô perplexité ! m’écriai-je, comment savoir à quoi m’en tenir ? comment donner mon cœur à l’une de vous, lorsqu’il est si cruellement déchiré ? Ô Socrate ! quel précepte admirable, mais difficile à suivre, tu nous as donné, quand tu as dit : « Connais-toi toi-même ! »

Depuis le jour où une malheureuse chanson avait si fort contrarié mon père, je n’avais pas fait usage de ma voix. En ce moment, il me vint à l’esprit de m’en servir comme d’un moyen pour discerner la vérité. « Parbleu ! pensai-je, puisque monsieur mon père m’a mis à la porte dès le premier couplet, c’est bien le moins que le second produise quelque effet sur ces dames. » Ayant donc commencé par m’incliner poliment, comme pour réclamer l’indulgence, à cause de la pluie que j’avais reçue, je me mis d’abord à siffler, puis à gazouiller, puis à faire des roulades, puis enfin à chanter à tue-tête, comme un muletier espagnol en plein vent.