Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

enfants par cela même qu’ils sont maltraités de la nature, comme si la faute en était à elles, ou comme si elles repoussaient d’avance l’injustice du sort qui doit les frapper.

Quand vint le temps de ma première mue, mon père devint tout à fait pensif et me considéra attentivement. Tant que mes plumes tombèrent, il me traita encore avec assez de bonté et me donna même la pâtée, me voyant grelotter presque nu dans un coin ; mais dès que mes pauvres ailerons transis commencèrent à se recouvrir de duvet, à chaque plume blanche qu’il vit paraître, il entra dans une telle colère, que je craignis qu’il ne me plumât pour le reste de mes jours ! Hélas ! je n’avais pas de miroir ; j’ignorais le sujet de cette fureur, et je me demandais pourquoi le meilleur des pères se montrait pour moi si barbare.

Un jour qu’un rayon de soleil et ma fourrure naissante m’avaient mis, malgré moi, le cœur en joie, comme je voltigeais dans une allée, je me mis, pour mon malheur, à chanter. À la première note qu’il entendit, mon père sauta en l’air comme une fusée.

— Qu’est-ce que j’entends-là ? s’écria-t-il ; est-ce ainsi qu’un merle siffle ? est-ce ainsi que je siffle ? est-ce là siffler ?

Et, s’abattant près de ma mère avec la contenance la plus terrible :

— Malheureuse ! dit-il, qui est-ce qui a pondu dans ton nid ?