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votre fauteuil et prendre un peu de peine ; mais vous ferez deux heureux, madame, et, si vous avez jamais connu l’amour, j’espère que vous ne me refuserez pas.

La bonne dame, pendant ce discours, avait été tour à tour surprise, inquiète, attendrie et charmée. Le dernier mot la persuada.

— Oui, mon enfant, répéta-t-elle plusieurs fois, je sais ce que c’est, je sais ce que c’est !

En parlant ainsi, elle fit un effort pour se lever ; ses jambes affaiblies la soutenaient à peine ; Julie s’avança rapidement, et lui tendit la main pour l’aider ; par un mouvement presque involontaire, elles se trouvèrent en un instant dans les bras l’une de l’autre. Le traité fut aussitôt conclu ; un cordial baiser le scella d’avance, et toutes les confidences nécessaires s’ensuivirent sans peine.

Toutes les explications étant faites, la bonne dame tira de son armoire une vénérable robe de taffetas qui avait été sa robe de noce. Ce meuble antique n’avait pas moins de cinquante ans, mais pas une tache, pas un grain de poussière ne l’avait défloré ; Julie en fut dans l’admiration. On envoya chercher un carrosse de louage, le plus beau qui fût dans toute la ville. La bonne dame prépara le discours qu’elle devait tenir à M. Godeau ; Julie lui apprit de quelle façon il fallait toucher le cœur de son père, et n’hésita pas à avouer que la vanité était son côté vulnérable.

— Si vous pouviez imaginer, dit-elle, un moyen de flatter ce penchant, nous aurions partie gagnée.