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et voudrais l’épouser ; mais mon père, M. Godeau, fermier général de cette ville, refuse de nous marier, parce que votre neveu n’est pas riche. Je ne voudrais pour rien au monde être l’occasion d’un scandale, ni causer de la peine à personne ; je ne saurais donc avoir la pensée de disposer de moi sans le consentement de ma famille. Je viens vous demander une grâce que je vous supplie de m’accorder ; il faudrait que vous vinssiez vous-même proposer ce mariage à mon père. J’ai, grâce à Dieu, une petite fortune qui est toute à votre service ; vous prendrez, quand il vous plaira, cinq cent mille francs chez mon notaire, vous direz que cette somme appartient à votre neveu, et elle lui appartient en effet ; ce n’est point un présent que je veux lui faire, c’est une dette que je lui paye, car je suis cause de la ruine de Croisilles, et il est juste que je la répare. Mon père ne cédera pas aisément ; il faudra que vous insistiez et que vous ayez un peu de courage ; je n’en manquerai pas de mon côté. Comme personne au monde, excepté moi, n’a de droit sur la somme dont je vous parle, personne ne saura jamais de quelle manière elle aura passé entre vos mains. Vous n’êtes pas très riche non plus, je le sais, et vous pouvez craindre qu’on ne s’étonne de vous voir doter ainsi votre neveu ; mais songez que mon père ne vous connaît pas, que vous vous montrez fort peu par la ville, et que par conséquent il vous sera facile de feindre que vous arrivez de quelque voyage. Cette démarche vous coûtera sans doute, il faudra quitter