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rais, je la triplerais peut-être par une honnête industrie. Si Julie m’aime véritablement, elle attendra quelques années, et elle me restera fidèle jusqu’à ce que je puisse l’épouser. Le commerce produit quelquefois des bénéfices plus gros qu’on ne pense ; il ne manque pas d’exemples, en ce monde, de fortunes rapides, surprenantes, gagnées ainsi sur ces flots changeants : pourquoi la Providence ne bénirait-elle pas une tentative faite dans un but si louable, si digne de sa protection ? Parmi ces marchands qui ont tant amassé et qui envoient des navires aux deux bouts de la terre, plus d’un a commencé par une moindre somme que celle que j’ai là. Ils ont prospéré avec l’aide de Dieu ; pourquoi ne pourrais-je pas prospérer à mon tour ? Il me semble qu’un bon vent souffle dans ces voiles, et que ce vaisseau inspire la confiance. Allons ! le sort en est jeté, je vais m’adresser à ce capitaine qui me paraît aussi de bonne mine, j’écrirai ensuite à Julie, et je veux devenir un habile négociant.

Le plus grand danger que courent les gens qui sont habituellement un peu fous, c’est de le devenir tout à fait par instants. Le pauvre garçon, sans réfléchir davantage, mit son caprice à exécution. Trouver des marchandises à acheter lorsqu’on a de l’argent et qu’on ne s’y connaît pas, c’est la chose du monde la moins difficile. Le capitaine, pour obliger Croisilles, le mena chez un fabricant de ses amis qui lui vendit autant de toiles et de soieries qu’il put en payer ; le tout,