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— Non pas ! à charge de revanche. Je suis bien aise de revoir ma robe ; car, à vous dire vrai, voilà déjà longtemps que nous vivons toutes les deux ensemble, et je m’y suis attachée insensiblement.

En parlant ainsi, mademoiselle Pinson montait lestement les cinq étages qui conduisaient à sa chambrette, où les deux amis entrèrent avec elle.

— Je ne puis pourtant, reprit Marcel, vous rendre cette robe qu’à une condition.

— Fi donc ! dit la grisette. Quelque sottise ! Des conditions ? je n’en veux pas.

— J’ai fait un pari, dit Marcel ; il faut que vous nous disiez franchement pourquoi cette robe était en gage.

— Laissez-moi donc d’abord la remettre, répondit mademoiselle Pinson ; je vous dirai ensuite mon pourquoi. Mais je vous préviens que, si vous ne voulez pas faire antichambre dans mon armoire ou sur la gouttière, il faut, pendant que je vais m’habiller, que vous vous voiliez la face comme Agamemnon.

— Qu’à cela ne tienne, dit Marcel ; nous sommes plus honnêtes qu’on ne pense, et je ne hasarderai pas même un œil.

— Attendez, reprit mademoiselle Pinson ; je suis pleine de confiance, mais la sagesse des nations nous dit que deux précautions valent mieux qu’une.

En même temps elle se débarrassa de son rideau, et l’étendit délicatement sur la tête des deux amis, de manière à les rendre complètement aveugles.