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passer dans les cheveux un fer parfaitement froid, lui parlait à demi-voix dans son accent gascon. Devant une autre toilette, dans un petit cabinet, se tenait assis, également affublé d’une serviette, un étranger fort inquiet, regardant sans cesse de côté et d’autre, et, par la porte entr’ouverte de l’arrière-boutique, on apercevait, dans une vieille psyché, la silhouette passablement maigre d’une jeune fille, qui, aidée de la femme du coiffeur, essayait une robe à carreaux écossais.

— Que viens-tu faire ici à cette heure ? s’écria Marcel, dont la figure reprit l’expression de sa bonne humeur habituelle, dès qu’il reconnut son ami.

Eugène s’assit près de la toilette, et expliqua en peu de mots la rencontre qu’il avait faite et le dessein qui l’amenait.

— Ma foi, dit Marcel, tu es bien candide. De quoi te mêles-tu, puisqu’il y a un baron ? Tu as vu une jeune fille intéressante qui éprouvait le besoin de prendre quelque nourriture ; tu lui as payé un poulet froid, c’est digne de toi ; il n’y a rien à dire. Tu n’exiges d’elle aucune reconnaissance, l’incognito te plaît ; c’est héroïque. Mais aller plus loin, c’est de la chevalerie. Engager sa montre ou sa signature pour une lingère que protège un baron, et que l’on n’a pas l’honneur de fréquenter, cela ne s’est pratiqué, de mémoire humaine, que dans la Bibliothèque bleue.

— Ris de moi si tu veux, répondit Eugène. Je sais qu’il y a dans ce monde beaucoup plus de malheureux