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l’aumône, comme tu dis, et remplit ses devoirs ; je ne puis, je ne veux pas croire qu’avec tous les dehors de la franchise et de la bonté, elle puisse être telle que tu te l’imagines. Mais il n’importe ; je cherchais un motif pour te laisser en chemin, et pour rester seul ; j’aime mieux m’en fier à ta parole. Je vais à Renonval ; retourne aux Clignets. Si notre bonne mère s’inquiète de ne pas me voir avec toi, tu lui diras que j’ai perdu la chasse, que mon cheval est malade, ce que tu voudras. Je ne veux faire qu’une courte visite, et je reviendrai sur-le-champ.

— Pourquoi ce mystère, s’il en est ainsi ?

— Parce que la marquise elle-même reconnaît que c’est le plus sage. Les gens du pays sont bavards, sots et importuns comme trois petites villes ensemble. Garde-moi le secret ; à ce soir.

Sans attendre une réponse, Tristan partit au galop.

Demeuré seul, Armand changea de route, et prit un chemin de traverse qui le menait plus vite chez lui. Ce n’était pas, on le pense bien, sans déplaisir ni sans une sorte de crainte qu’il voyait son frère s’éloigner. Jeune d’années, mais déjà mûri par une précoce expérience du monde, Armand de Berville, avec un esprit souvent léger en apparence, avait beaucoup de sens et de raison. Tandis que Tristan, officier distingué dans l’armée, courait en Algérie les chances de la guerre, et se livrait parfois aux dangereux écarts d’une imagination vive et passionnée, Armand restait à la maison et tenait com-