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sous sa robe, et calcule la place où elle peut laisser prendre, sans péché, un baiser sur sa mitaine. À quoi bon ? diras-tu. Si la foi lui manque, pourquoi ne pas être franchement coquette ? Si elle croit, pourquoi s’exposer à la tentation ? Parce qu’elle la brave et s’en amuse. Et, en effet, on ne saurait dire qu’elle soit sincère ni hypocrite ; elle est ainsi et elle plaît ; ses victimes passent et disparaissent. La Bretonnière, le silencieux, restera jusqu’à sa mort, très probablement, sur le seuil du temple où ce sphynx aux grands yeux rend ses oracles et respire l’encens.

Tristan, pendant que son frère parlait, avait arrêté son cheval. La grille du château de Renonval n’était plus éloignée que d’une centaine de pas. Devant cette grille, comme Armand l’avait prévu, madame de Vernage se promenait sur la pelouse ; mais elle était seule, contre l’ordinaire. Tristan changea tout à coup de visage.

— Écoute, Armand, dit-il, je t’avoue que je l’aime. Tu es homme et tu as du cœur ; tu sais aussi bien que moi que devant la passion il n’y a ni loi ni conseil. Tu n’es pas le premier qui me parle ainsi d’elle ; on m’a dit tout cela, mais je n’en puis rien croire. Je suis subjugué par cette femme ; elle est si charmante, si aimable, si séduisante, quand elle veut…

— Je le sais très bien, dit Armand.

— Non, s’écria Tristan, je ne puis croire qu’avec tant de grâce, de douceur, de piété, car enfin elle fait