Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Certainement, répondit-il en haussant les épaules d’un air presque offensé qu’on lui adressât une pareille question.

— Que faut-il faire ? dit madame des Arcis.

— Vous mettre sur mes épaules, répliqua le passeux. Gardez votre robe, ça vous soutiendra. Empoignez-moi le cou à deux bras, mais n’ayez pas peur et ne vous cramponnez pas, nous serions noyés ; ne criez pas, ça vous ferait boire. Quant à la petite, je la prendrai d’une main par la taille, je nagerai de l’autre à la marinière, et je la passerai en l’air sans la mouiller. Il n’y a pas vingt-cinq brasses d’ici aux pommes de terre qui sont dans ce champ-là.

— Et Jean ? dit madame des Arcis, désignant le cocher.

— Jean boira un coup, mais il en reviendra. Qu’il aille à l’écluse et qu’il attende, je le retrouverai.

Le père Georgeot s’élança dans l’eau, chargé de son double fardeau, mais il avait trop préjugé de ses forces. Il n’était plus jeune, tant s’en fallait. La rive était plus loin qu’il ne disait, et le courant plus fort qu’il ne l’avait pensé. Il fit cependant tout ce qu’il put pour arriver à terre, mais il fut bientôt entraîné. Le tronc d’un saule couvert par l’eau, et qu’il ne pouvait voir dans les ténèbres, l’arrêta tout à coup : il s’y était violemment frappé au front. Son sang coula, sa vue s’obscurcit.

— Prenez votre fille et mettez-la sur mon cou, dit-il, ou sur le vôtre ; je n’en puis plus.