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pice. Il était clair que, si l’on se laissait entraîner jusque-là, on devait s’attendre à un accident terrible.

Le cocher était descendu de son siège ; il aurait voulu être bon à quelque chose, mais il n’y avait qu’une perche dans le bac. Le passeux, de son côté, faisait ce qu’il pouvait, mais la nuit était sombre ; une petite pluie fine aveuglait ces deux hommes, qui tantôt se relayaient, tantôt réunissaient leurs forces, pour couper l’eau et gagner la rive.

À mesure que le bruit de l’écluse se rapprochait, le danger devenait plus effrayant. Le bateau, lourdement chargé, et défendu contre le courant par deux hommes vigoureux, n’allait pas vite. Lorsque la perche était bien enfoncée et bien tenue à l’avant, le bac s’arrêtait, allait de côté, ou tournait sur lui-même ; mais le flot était trop fort. Madame des Arcis, qui était restée dans la voiture avec l’enfant, ouvrit la glace avec une terreur affreuse :

— Est-ce que nous sommes perdus ? s’écria-t-elle.

En ce moment la perche rompit. Les deux hommes tombèrent dans le bateau, épuisés, et les mains meurtries.

Le passeux savait nager, mais non le cocher. Il n’y avait pas de temps à perdre :

— Père Georgeot, dit madame des Arcis au passeux (c’était son nom), peux-tu me sauver, ma fille et moi ?

Le père Georgeot jeta un coup d’œil sur l’eau, puis sur la rive :