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veilleuses. En parlant ainsi, il soulevait sa fille entre ses bras et la promenait par la chambre ; mais d’affreuses pensées le saisissaient malgré lui ; l’idée de l’avenir, la vue de ce silence, de cet être inachevé, dont les sens étaient fermés, la réprobation, le dégoût, la pitié, le mépris du monde, l’accablaient. Son visage pâlissait, ses mains tremblaient ; il rendait l’enfant à sa mère, et se détournait pour cacher ses larmes.

C’est dans ces moments que madame des Arcis serrait sa fille sur son cœur avec une sorte de tendresse désespérée et ce plein regard de l’amour maternel, le plus violent et le plus fier de tous. Jamais elle ne faisait entendre une plainte ; elle se retirait dans sa chambre, posait Camille dans son berceau, et passait des heures entières, muette comme elle, à la regarder.

Cette espèce d’exaltation sombre et passionnée devint si forte, qu’il n’était pas rare de voir madame des Arcis garder le silence le plus absolu pendant des journées. On lui adressait en vain la parole. Il semblait qu’elle voulût savoir par elle-même ce que c’était que cette nuit de l’esprit dans laquelle sa fille devait vivre.

Elle parlait par signes à l’enfant et savait seule se faire comprendre. Les autres personnes de la maison, le chevalier lui-même, semblaient étrangers à Camille. La mère de madame des Arcis, femme d’un esprit assez vulgaire, ne venait guère à Chardonneux[1] (ainsi se

  1. Il y a près du Mans un château de ce nom. L’auteur y passa quelques jours en septembre 1829.