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L’église était muette et sombre ; une moitié de cantique y bourdonnait d’une façon lugubre. La canne du suisse retentissait seule au milieu du silence, et le bedeau désappointé tendait dans le désert une bourse au fond de laquelle gisait un gros sou. Debout contre une voûte obscure, le curé attendait que les fidèles vinssent baiser l’image du Christ ; mais, plus redoutable que les ressorts de la machine pneumatique, l’indifférence publique dont se plaint l’Avenir avait fait le vide dans la sainte patène. « Hélas ! » murmura la bonne vieille, en s’agenouillant.

Dans les Champs-Élysées sifflait un vent aigu ; quelques grisettes enveloppées de pelisses se promenaient imperturbablement dans la contre-allée ; deux voitures bourgeoises fermaient leurs stores, et dans un grand landau délabré, trois Anglais suçaient leurs cannes. « Diable ! » dit l’élégant, « Ô ciel ! » dit le pauvre étudiant. « Ah ! ah ! » dit le bourgeois.

La dévote eut bientôt fini sa prière ; personne n’était là pour la voir, à quoi bon rester ? Elle trempa avec fureur sa main sèche et ridée jusqu’au fond du bénitier, et murmura en se signant : « C’était bien la peine de jeûner toute une matinée » Elle reprit son petit pas cadencé et appela sa servante.

L’élégant ne permit pas à la mauvaise humeur de prendre place sur son visage bien rasé et pommadé fraîchement ; il appuya ses rênes flottantes sur le mors écumant de ses coursiers, et, traçant avec sa