Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Mélanges de littérature et de critique.djvu/394

Cette page n’a pas encore été corrigée

mât du bâtiment ennemi le plus redoutable en ce moment. Le vaisseau français fut alors dégagé, et les Anglais, repoussés du Patriote, se portèrent sur le Vengeur, dont on connaît la fin sublime. Quand l’ennemi se fut retiré, le capitaine proclama l’aspirant comme ayant sauvé trois fois le navire durant le cours de la bataille et le nomma de seconde classe.

Cependant cette courte mais rude campagne avait épuisé les forces du jeune marin ; et quand la flotte revint à Brest, une maladie cruelle le retint plusieurs mois à l’hôpital de cette ville. Là, sans ressource et sans consolation, perclus de tous ses membres et presque privé de l’usage de la parole, déjà pleuré par sa mère et ses sœurs, et ne pouvant même leur écrire pour leur envoyer un dernier adieu, il vit, en effet, s’approcher l’heure fatale où ses espérances n’eussent laissé que des regrets. Mais ce fut alors que cet esprit léger, quelque peu enclin aux maximes des philosophes de l’autre siècle, connut pour la première fois une chose plus immortelle que les grands hommes qui l’ont insultée, je veux dire la pensée chrétienne et les dévouements qu’elle inspire ; car ce qu’on nomme l’immortalité n’est que le souvenir des mortels, et l’éternité est celui de Dieu. Il fut soigné par les religieuses, et, fidèle en cette circonstance aux habitudes de son cœur, il se plaisait encore, dans sa vieillesse, à raconter les soins qui l’avaient sauvé.

Rendu a sa famille par ces soins précieux, après avoir