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dans le désert de mon cœur. Je me disais : Voilà le bonheur de l’homme ; voilà mon petit paradis ; voilà ma fée Mab : c’est une fille des rues. Ma maîtresse ne vaut pas mieux. Voilà ce qu’on trouve au fond du verre où on a bu le nectar des dieux ; voilà le cadavre de l’amour.

[J’étais comme un homme assis sur les ruines d’une maison où il a passé son enfance ; il regarde pousser l’herbe sur les souvenirs de sa vie, et les corbeaux battent de l’aile autour de lui.]

La malheureuse, m’entendant chanter, se mit à chanter aussi. J’en devins pâle comme la mort ; car cette voix rauque et ignoble, sortant de cet être qui ressemblait à ma maîtresse, me paraissait comme un symbole de ce que j’éprouvais. C’était la débauche en personne qui lui grasseyait dans la gorge, au milieu d’une jeunesse en fleur. Il me semblait que ma maîtresse, depuis ses perfidies, devait avoir cette voix-là. Je me souvins de Faust qui, dansant au Broken avec une jeune sorcière nue, lui voit sortir une souris rouge de la bouche.

— Tais-toi, lui criai-je ; viens çà et gagne ta pitance. Je la jetai sur mon lit et m’y étendis à côté d’elle, comme ma propre statue sur mon tombeau. [À ce moment je sentis dans ma tête comme une roue de moulin qui s’ébranlait. — Tourne donc, dis-je à mon ivresse, tourne sur moi, meule hideuse, et broie cette cervelle souffrante.