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madame Levasseur. Quelque locataire y étant malade, on avait répandu de la paille dans la rue, en sorte que les voitures n’y faisaient aucun bruit. J’étais près d’elle, la tenant dans mes bras, et m’abandonnant à l’une des plus douces émotions du cœur, le sentiment d’une douleur partagée.

Notre entretien continua sur le ton de la plus expansive amitié. Elle me disait ses souffrances, je lui contais les miennes, et, entre ces deux douleurs qui se touchaient, je sentais s’élever je ne sais quelle douceur, je ne sais quelle voix consolante, comme un accord pur et céleste né du concert de deux voix gémissantes. Cependant, durant toutes ces larmes, comme je m’étais penché sur madame Levasseur, je ne voyais que son visage. Dans un moment de silence, m’étant relevé et éloigné quelque peu, je m’aperçus que, pendant que nous parlions, elle avait appuyé son pied assez haut sur le chambranle de la cheminée, en sorte que, sa robe ayant glissé, sa jambe se trouvait entièrement découverte. Il me parut singulier que, voyant ma confusion, elle ne se dérangeât point, et je fis quelques pas en tournant la tête pour lui donner le temps de s’ajuster ; elle n’en fit rien. Revenant à la cheminée, j’y restai appuyé en silence, regardant ce désordre, dont l’apparence était trop révoltante pour se supporter. Enfin, fixant ses yeux, et voyant clairement qu’elle s’apercevait fort bien elle-même de ce qui en était, je me sentis frappé de la foudre ; car je compris net que j’étais le jouet d’une effronterie telle-