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un mot, une fleur, font que vous vous arrêtez et que vous relevez la tête vers le triangle céleste. Exercer les nobles facultés de l’homme est un grand bien, voilà pourquoi le génie est une belle chose ; mais doubler ses facultés, presser un cœur et une intelligence sur son intelligence et sur son cœur, c’est le bonheur suprême. Dieu n’en a pas fait plus pour l’homme ; voilà pourquoi l’amour vaut mieux que le génie. Or, dites-moi, est-ce là l’amour de nos femmes ? Non, non, il faut en convenir. Aimer, pour elles, c’est autre chose : c’est sortir voilée, écrire avec mystère, marcher en tremblant sur la pointe du pied, comploter et railler, faire des yeux languissants, pousser de chastes soupirs dans une robe empesée et guindée, puis tirer les verrous pour la jeter par-dessus sa tête, humilier une rivale, tromper un mari, désoler ses amants ; aimer, pour nos femmes, c’est jouer à mentir, comme les enfants jouent à se cacher ; hideuse débauche du cœur, pire que toute la lubricité romaine aux saturnales de Priape ; parodie bâtarde du vice lui-même aussi bien que de la vertu ; comédie sourde et basse où tout se chuchote et se travaille avec des regards obliques, où tout est petit, élégant et difforme, comme dans ces monstres de porcelaine qu’on apporte de Chine ; dérision lamentable de ce qu’il y a de beau et de laid, de divin et d’infernal au monde ; ombre sans corps, squelette de tout ce que Dieu a fait.

Ainsi parlait Desgenais, d’une voix mordante, au milieu du silence de la nuit.