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heureux le lendemain ; tantôt, c’était ma vie entière qui me paraissait un songe ridicule et puéril, dont la fausseté venait de se dévoiler. Desgenais était assis devant moi, près de la lampe ; il était ferme et sérieux, avec un sourire perpétuel. C’était un homme plein de cœur, mais sec comme la pierre ponce. Une précoce expérience l’avait rendu chauve avant l’âge ; il connaissait la vie et avait pleuré dans son temps, mais sa douleur portait cuirasse ; il était matérialiste et attendait la mort.

— Octave, me dit-il, d’après ce qui se passe en vous, je vois que vous croyez à l’amour tel que les romanciers et les poètes le représentent ; vous croyez, en un mot, à ce qui se dit ici-bas et non à ce qui s’y fait. Cela vient de ce que vous ne raisonnez pas sainement, et peut vous mener à de très grands malheurs.

Les poètes représentent l’amour, comme les sculpteurs nous peignent la beauté, comme les musiciens créent la mélodie ; c’est-à-dire que, doués d’une organisation nerveuse et exquise, ils rassemblent avec discernement et avec ardeur les éléments les plus purs de la vie, les lignes les plus belles de la matière et les voix les plus harmonieuses de la nature. Il y avait, dit-on, à Athènes une grande quantité de belles filles ; Praxitèle les dessina toutes l’une après l’autre ; après quoi, de toutes ces beautés diverses qui, chacune, avaient leur défaut, il fit une beauté unique, sans défaut, et créa la Vénus. Le premier homme qui fit un