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fidie de ma maîtresse l’avait frappée au plus haut de son vol, et lorsque j’y pensais, je me sentais dans l’âme quelque chose qui défaillait convulsivement, comme un oiseau blessé qui agonise.

La société, qui fait tant de mal, ressemble à ce serpent des Indes dont la maison est la feuille d’une plante qui guérit sa morsure. Elle présente presque toujours le remède à côté de la souffrance qu’elle a causée. Par exemple, un homme qui a son existence réglée, les affaires au lever, les visites à telle heure, le travail à telle autre, l’amour à telle autre, peut perdre sans danger sa maîtresse. Ses occupations et ses pensées sont comme ces soldats impassibles, rangés à la bataille sur une même ligne ; un coup de feu en emporte un, les voisins se resserrent, et il n’y paraît pas.

Je n’avais pas cette ressource ; la nature, ma mère chérie, depuis que j’étais seul, me semblait au contraire plus vaste et plus vide que jamais. Si j’avais pu oublier entièrement ma maîtresse, j’aurais été sauvé. Que de gens à qui il n’en faut pas tant pour les guérir ! Ceux-là sont incapables d’aimer une femme infidèle, et leur conduite, en pareil cas, est admirable de fermeté. Mais est-ce ainsi qu’on aime à dix-neuf ans, alors que, ne connaissant rien au monde, désirant tout, le jeune homme sent à la fois le germe de toutes les passions ? De quoi doute cet âge ? À droite, à gauche, là-bas, à l’horizon, partout quelque voix qui l’appelle. Tout est désir, tout est rêverie. Il n’y a réalité qui tienne lorsque