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au lit de mort, donné ce petit crucifix. Je ne me souvenais pourtant pas de le lui avoir jamais vu ; sans doute, au moment de partir, elle l’avait suspendu à son cou, comme une relique préservatrice des dangers du voyage. Je joignis les mains tout à coup et me sentis fléchir vers la terre. — Seigneur mon Dieu ! dis-je en tremblant, Seigneur mon Dieu, vous étiez là !

Que ceux qui ne croient pas au Christ lisent cette page ; je n’y croyais pas non plus. Ni au collège, ni enfant, ni homme, je n’avais hanté les églises ; ma religion, si j’en avais une, n’avait ni rite ni symbole, et je ne croyais qu’à un Dieu sans forme, sans culte et sans révélation. Empoisonné, dès l’adolescence, de tous les écrits du dernier siècle, j’y avais sucé de bonne heure le lait stérile de l’impiété. L’orgueil humain, ce dieu de l’égoïste, fermait ma bouche à la prière, tandis que mon âme effrayée se réfugiait dans l’espoir du néant. J’étais comme ivre et insensé quand je vis le Christ sur le sein de Brigitte ; mais bien que n’y croyant pas moi-même, je reculai, sachant qu’elle y croyait. Ce ne fut pas une terreur vaine qui, en ce moment, m’arrêta la main. Qui me voyait ? j’étais seul, la nuit. S’agissait-il des préjugés du monde ? qui m’empêchait d’écarter de mes yeux ce petit morceau de bois noir ? Je pouvais le jeter dans les cendres, et ce fut mon arme que j’y jetai. Ah ! que je le sentis jusqu’à l’âme, et que je le sens maintenant encore ! quels misérables sont les hommes qui ont jamais fait une raillerie de ce qui peut sauver un être !