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l’air sent le vide, il se précipite ; pas un désordre, tout est réglé, marqué, écrit en lignes d’or et en paraboles de feu ; tout marche au son de la musique céleste sur des sentiers impitoyables, et pour toujours ; et tout cela n’est rien ! Et nous, pauvres rêves sans nom, pâles et douloureuses apparences, imperceptibles éphémères, nous qu’on anime d’un souffle d’une seconde pour que la mort puisse exister, nous nous épuisons de fatigue pour nous prouver que nous jouons un rôle et que je ne sais quoi s’aperçoit de nous. Nous hésitons à nous tirer sur la poitrine un petit instrument de fer, et à nous faire sauter la tête avec un haussement d’épaules ; il semble que, si nous nous tuons, le chaos va se rétablir ; nous avons écrit et rédigé les lois divines et humaines et nous avons peur de nos catéchismes ; nous souffrons trente ans sans murmurer, et nous croyons que nous luttons ; enfin la souffrance est la plus forte, nous envoyons une pincée de poudre dans le sanctuaire de l’intelligence, et il pousse une fleur sur notre tombeau.

Comme j’achevais ces paroles, j’avais approché le couteau que je tenais de la poitrine de Brigitte. Je n’étais plus maître de moi, et je ne sais, dans mon délire, ce qui en serait arrivé ; je rejetai le drap pour découvrir le cœur, et j’aperçus entre les deux seins blancs un petit crucifix d’ébène.

Je reculai, frappé de crainte ; ma main s’ouvrit, et l’arme tomba. C’était la tante de Brigitte qui lui avait,