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été muet près de Brigitte doit rester muet pour toujours ! Que celui qui a passé sur son cœur en garde du moins la trace intacte ! Ah, Dieu ! si tu veux vivre encore, ne faudrait-il pas l’effacer ? Quel autre parti te resterait-il, pour conserver ton souffle misérable, que d’achever de le corrompre ? Oui, maintenant ta vie est à ce prix. Il te faudrait, pour la supporter, non seulement oublier l’amour, mais désapprendre qu’il existe ; non seulement renier ce qui a été bon en toi, mais tuer ce qui peut l’être encore ; car que ferais-tu si tu t’en souvenais ? Tu ne ferais pas un pas sur terre, tu ne rirais pas, tu ne pleurerais pas, tu ne donnerais pas l’aumône à un pauvre, tu ne pourrais pas être bon un quart d’heure, sans que tout ton sang, reflué au cœur, te crie que Dieu t’avait fait bon pour que Brigitte fût heureuse. Tes moindres actions retentiraient en toi, et, comme des échos sonores, y feraient gémir tes malheurs ; tout ce qui remuerait ton âme y éveillerait un regret, et l’espérance, ce messager céleste, ce saint ami qui nous invite à vivre, se changerait lui-même pour toi en un fantôme inexorable, et deviendrait frère jumeau du passé ; tous tes essais de saisir quelque chose ne seraient qu’un long repentir. Quand l’homicide marche dans l’ombre, il tient ses mains serrées sur sa poitrine, de peur de rien toucher et que les murs ne l’accusent. C’est ainsi qu’il te faudrait faire ; choisis de ton âme ou de ton corps : il te faudrait tuer l’un des deux. Le souvenir du bien t’envoie au mal ; fais de toi