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tu ne réfléchissais pas combien c’était rare et fragile ce que tu tenais dans tes mains ; tu le dédaignais ; tu en souriais et tu remettais d’en jouir, et tu ne comptais pas les prières que ton bon ange faisait pendant ce temps-là pour te conserver cette ombre d’un jour. Ah ! s’il en est un dans les cieux qui ait jamais veillé sur toi, que devient-il en ce moment ? Il est assis devant un orgue ; ses ailes sont à demi ouvertes, ses mains étendues sur le clavier d’ivoire ; il commence un hymne éternel, l’hymne d’amour et d’immortel oubli. Mais ses genoux chancellent, ses ailes tombent, sa tête s’incline comme un roseau brisé ; l’ange de la mort lui a touché l’épaule, il disparaît dans l’immensité !

Et toi, c’est à vingt-deux ans que tu restes seul sur la terre ! quand un amour noble et élevé, quand la force de la jeunesse allait peut-être faire de toi quelque chose ! Lorsque, après de si longs ennuis, des chagrins si cuisants, tant d’irrésolutions, une jeunesse si dissipée, tu pouvais voir se lever sur toi un jour tranquille et pur ! lorsque ta vie, consacrée à un être adoré, pouvait se remplir d’une sève nouvelle, c’est en ce moment que tout s’abîme et s’évanouit devant toi ! Te voilà, non plus avec des désirs vagues, mais avec des regrets réels ; non plus le cœur vide, mais dépeuplé. Et tu hésites ? Qu’attends-tu ? Puisqu’elle ne veut plus de ta vie, que ta vie ne compte plus pour rien ; puisqu’elle te quitte, quitte-toi aussi. Que ceux qui ont aimé ta jeunesse pleurent sur toi ; ils ne sont pas nombreux. Qui a