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mourir. Pendant que tu es bon à cette heure, profites-en pour n’être plus méchant ; pendant qu’une femme que tu aimes est là, mourante, sur ce lit, et que tu sens l’horreur de toi-même, étends la main sur sa poitrine : elle vit encore, c’est assez ; ferme les yeux et ne les rouvre plus ; n’assiste pas à ses funérailles, de peur que demain tu n’en sois consolé ; donne-toi un coup de poignard pendant que le cœur que tu portes aime encore le Dieu qui l’a fait. Est-ce ta jeunesse qui t’arrête ? et ce que tu veux épargner, est-ce la couleur de tes cheveux ? Ne les laisse jamais blanchir, s’ils ne sont pas blancs cette nuit.

Et aussi bien, que veux-tu faire au monde ? Si tu sors, où vas-tu ? Qu’espères-tu si tu restes ? Ah ! n’est-ce pas qu’en regardant cette femme, il te semble avoir dans le cœur tout un trésor encore enfoui ? N’est-ce pas que ce que tu perds, c’est moins ce qui a été que ce qui aurait pu être, et que le pire des adieux est de sentir qu’on n’a pas tout dit ? Que ne parlais-tu il y a une heure ? Quand cette aiguille était à cette place, tu pouvais encore être heureux. Si tu souffrais, que n’ouvrais-tu ton âme ? si tu aimais, que ne le disais-tu ? Te voilà comme l’enfouisseur mourant de faim sur son trésor ; tu as fermé ta porte, avare ; tu te débats derrière tes verrous. Secoue-les donc, ils sont solides ; c’est ta main qui les a forgés. Ô insensé, qui as désiré et qui as possédé ton désir, tu n’avais pas pensé à Dieu ! Tu jouais avec le bonheur comme un enfant avec un hochet, et