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d’entendre ; mais je me sentais une telle rage que je n’y pouvais résister. Ce froid silence, cette force négative m’exaspéraient au dernier point. J’aurais été réellement trompé, et sûr de la trahison d’une femme aimée, que je n’aurais rien éprouvé de pire. Dès que je me fus condamné moi-même à rester encore à Paris, je me dis qu’à tout prix il fallait que Brigitte parlât ; je cherchais en vain dans ma tête un moyen de l’y obliger, mais, pour le trouver à l’instant même, j’aurais donné tout ce que je possédais. Que faire ? que dire ? elle était là, tranquille, me regardant avec tristesse. J’entendis dételer les chevaux ; ils s’en allèrent au petit trot, et le bruit de leurs grelots se perdit bientôt dans les rues. Je n’avais qu’à me retourner pour qu’ils revinssent, et il me semblait cependant que leur départ était irrévocable. Je poussai le verrou de la porte ; je ne sais quoi me disait à l’oreille : Te voilà seul, face à face avec l’être qui doit te donner la vie ou la mort.

Tandis que, perdu dans mes pensées, je m’efforçais d’inventer un biais qui pût me mener à la vérité, je me souvins d’un roman de Diderot, où une femme, jalouse de son amant, s’avise, pour éclaircir ses doutes, d’un moyen assez singulier. Elle lui dit qu’elle ne l’aime plus, et lui annonce qu’elle va le quitter. Le marquis des Arcis (c’était le nom de l’amant) donne dans le piège et avoue que lui-même est lassé de son amour. Cette scène bizarre, que j’avais lue trop jeune, m’avait frappé comme un tour d’adresse, et le souvenir que j’en avais