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impatiemment que l’aiguille marquât dix heures. L’inquiétude me dévorait, mais j’eus la force de n’en rien laisser voir. Enfin arriva le moment fixé ; j’entendis le fouet du postillon et les chevaux entrer dans la cour. Brigitte était assise près de moi ; je lui pris la main et lui demandai si elle était prête à partir. Elle me regarda avec surprise, croyant sans doute que je voulais rire. Je lui dis qu’à dîner elle m’avait paru si bien décidée que je n’avais pas hésité à faire venir des chevaux, et que c’était pour en demander que j’étais sorti. Au même instant entra le garçon de l’hôtel, qui venait annoncer que les paquets étaient sur la voiture et qu’on n’attendait plus que nous.

— Est-ce sérieux ? demanda Brigitte ; vous voulez partir cette nuit ?

— Pourquoi pas, répondis-je, puisque nous sommes d’accord ensemble que nous devons quitter Paris ?

— Quoi ! maintenant ? à l’instant même ?

— Sans doute ; n’y a-t-il pas un mois que tout est prêt ? Vous voyez qu’on n’a eu que la peine de lier nos malles sur la calèche ; du moment qu’il est décidé que nous ne restons pas ici, le plus tôt fait n’est-il pas le meilleur ? Je suis d’avis qu’il faut tout faire ainsi et ne rien remettre au lendemain. Vous êtes ce soir d’humeur voyageuse, et je me hâte d’en profiter. Pourquoi attendre et différer sans cesse ? Je ne saurais supporter cette vie. Vous voulez partir, n’est-il pas vrai ? Eh bien ! partons, il ne tient plus qu’à vous.