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au monde, et à chercher autour de moi s’il ne tomberait pas aussi quelque obus qui me délivrât pour l’éternité. Hélas ! ce n’en était que l’éclair qui traversait un instant ma nuit.

Comme ces derviches insensés qui trouvent l’extase dans le vertige, quand la pensée, tournant sur elle-même, s’est épuisée à se creuser, lasse d’un travail inutile, elle s’arrête épouvantée. Il semble que l’homme soit vide, et qu’à force de descendre en lui, il arrive à la dernière marche d’une spirale. Là, comme au sommet des montagnes, comme au fond des mines, l’air manque et Dieu défend d’aller plus loin. Alors, frappé d’un froid mortel, le cœur, comme altéré d’oubli, voudrait s’élancer au dehors pour renaître ; il redemande la vie à ceux qui l’environnent, il aspire l’air ardemment, mais il ne trouve autour de lui que ses propres chimères, qu’il vient d’animer de la force qui lui manque, et qui, créées par lui, l’entourent comme des spectres sans pitié.

Il n’était pas possible que les choses continuassent longtemps ainsi. Fatigué de l’incertitude, je résolus de tenter une épreuve pour découvrir la vérité.

J’allai demander des chevaux de poste pour dix heures du soir. Nous avions loué une calèche, et j’ordonnai que tout fût prêt pour l’heure indiquée. Je défendis en même temps qu’on en dît rien à madame Pierson. Smith vint dîner ; en me mettant à table, j’affectai plus de gaieté qu’à l’ordinaire, et, sans les avertir de mon des-