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me frappait le visage quand je sortais de mon cachot ; c’était une page d’un livre que je lisais, quand toutefois il m’arrivait d’en prendre d’autres que ceux de ces sycophantes modernes qu’on appelle des pamphlétaires, et à qui on devrait défendre, par simple mesure de salubrité publique, de dépecer et de philosophailler. Puisque je parle de ces bons moments, ils furent si rares que j’en veux citer un. Je lisais un soir les Mémoires de Constant ; j’y trouve les dix lignes suivantes :

« Salsdorf, chirurgien saxon attaché au prince Christian, eut à la bataille de Wagram la jambe cassée par un obus. Il était couché sur la poussière, presque sans vie. À quinze pas de lui, Amédée de Kerbourg, aide de camp (j’ai oublié de qui), froissé à la poitrine par un boulet, tombe et vomit le sang. Salsdorf voit que, si ce jeune homme n’est secouru, il va mourir d’une apoplexie ; il recueille ses forces, se traîne en rampant jusqu’à lui, le saigne, et lui sauve la vie. Au sortir de là, Salsdorf mourut à Vienne, quatre jours après l’amputation. »

Quand je lus ces mots, je jetai le livre et je fondis en larmes. Je ne regrette pas celles-là, elles me valurent une bonne journée ; car je ne fis que parler de Salsdorf, et ne me souciai de quoi que ce soit. Je ne pensai pas, à coup sûr, à soupçonner personne ce jour-là. Pauvre rêveur ! devais-je alors me souvenir que j’avais été bon ? À quoi cela me servait-il ? À tendre au ciel des bras désolés, à me demander pourquoi j’étais