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la chambre. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire, et je la lançai sur le carreau. Elle s’y brisa en mille pièces, que j’écrasai à coups de talon.

Brigitte me vit faire sans me dire un seul mot. Pendant les deux jours suivants, elle me traita avec une froideur qui avait l’air de tenir du mépris, et je la vis affecter avec Smith un ton plus libre et plus bienveillant qu’à l’ordinaire. Elle l’appelait Henri, de son nom de baptême, et lui souriait familièrement.

— J’ai envie de prendre l’air, dit-elle après dîner ; venez-vous à l’Opéra, Octave ? je suis d’humeur à y aller à pied.

— Non, je reste ; allez-y sans moi.

Elle prit le bras de Smith et sortit. Je restai seul toute la soirée ; j’avais du papier devant moi et je voulais écrire pour fixer mes pensées, mais je ne pus en venir à bout.

Comme un amant, dès qu’il se voit seul, tire de son sein une lettre de sa maîtresse et s’ensevelit dans un rêve chéri, ainsi je m’enfonçais à plaisir dans le sentiment d’une profonde solitude, et je m’enfermais pour douter. J’avais devant moi les deux sièges vides que Smith et Brigitte venaient d’occuper ; je les regardais d’un œil avide, comme s’ils eussent pu m’apprendre quelque chose. Je repassais mille fois dans ma tête ce que j’avais vu et entendu ; de temps en temps, j’allais à la porte et je jetais les yeux sur nos malles, qui étaient rangées contre le mur et qui attendaient depuis un