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En présence de Smith, Brigitte me témoignait plus d’amitié que quand nous étions seuls. Il arriva un soir, comme nous venions d’échanger quelques mots assez durs ; quand elle entendit sa voix dans l’antichambre, elle vint s’asseoir sur mes genoux. Pour lui, toujours tranquille et triste, il semblait qu’il fît sur lui-même un effort continuel. Ses moindres gestes étaient mesurés ; il parlait peu et lentement ; mais les mouvements brusques qui lui échappaient n’en étaient que plus frappants par leur contraste avec sa contenance habituelle.

Dans la circonstance où je me trouvais, puis-je appeler curiosité l’impatience qui me dévorait ? Qu’aurais-je répondu si quelqu’un fût venu me dire : — Que vous importe ? vous êtes bien curieux. Peut-être, cependant, n’était-ce pas autre chose.

Je me souviens qu’un jour, au Pont-Royal, je vis un homme se noyer. Je faisais avec des amis ce qu’on appelle une pleine eau, à l’école de natation, et nous étions suivis par un bateau où se tenaient deux maîtres nageurs. C’était au plus fort de l’été : notre bateau en avait rencontré un autre, en sorte que nous nous trouvions plus de trente sous la grande arche du pont. Tout à coup, au milieu de nous, un jeune homme est pris d’un coup de sang. J’entends un cri et je me retourne. Je vis deux mains qui s’agitaient à la surface de l’eau, puis tout disparut. Nous plongeâmes aussitôt ; ce fut en vain, et, une heure après seulement, on parvint à retirer le cadavre engagé sous un train de bois.