Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/311

Cette page a été validée par deux contributeurs.

eût serré la main en montant en voiture, y aurais-je fait la moindre attention ? Qu’il m’eût reconnu ou non à l’Opéra, qu’il lui fût échappé devant moi des larmes dont j’ignorais la cause, que m’importait, si j’étais heureux ? Mais, tout en ne pouvant deviner le motif de la tristesse de Brigitte, je voyais bien que ma conduite passée, quoi qu’elle en pût dire, n’était pas maintenant étrangère à ses chagrins. Si j’eusse été ce que j’avais dû être depuis six mois que nous vivions ensemble, rien au monde, je le savais, n’aurait pu troubler notre amour. Smith n’était qu’un homme ordinaire, mais il était bon et dévoué ; ses qualités simples et modestes ressemblaient à de grandes lignes pures que l’œil saisit sans peine et tout d’abord ; en un quart d’heure, on le connaissait, et il inspirait la confiance, sinon l’admiration. Je ne pouvais m’empêcher de me dire que, s’il eût été l’amant de Brigitte, elle serait partie joyeuse avec lui.

C’était de ma propre volonté que j’avais retardé notre départ, et déjà je m’en repentais. Brigitte aussi, quelquefois, me pressait. — Qui nous arrête ? disait-elle ; me voilà guérie, tout est prêt. Qui m’arrêtait, en effet ? Je ne sais.

Assis près de la cheminée, je fixais mes yeux alternativement sur Smith et sur ma maîtresse. Je les voyais tous deux pâles, sérieux, muets. J’ignorais pourquoi ils étaient ainsi, et, malgré moi, je me répétais que ce pouvait bien être pour la même cause, et qu’il n’y avait