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ce jeune homme rappelât à Brigitte le passé, quelques souvenirs et quelques regrets ? Pouvait-il, à son tour, la voir partir sans crainte, sans songer malgré lui aux chances d’un long voyage, aux risques d’une vie désormais errante, presque proscrite et abandonnée ? Sans doute, cela devait être, et je sentais, quand j’y pensais, que c’était à moi à me lever, à me mettre entre eux deux, à les rassurer, à les faire croire en moi, à dire à l’une que mon bras la soutiendrait tant qu’elle voudrait s’y appuyer, à l’autre que je lui étais reconnaissant de l’affection qu’il nous témoignait et des services qu’il allait nous rendre. Je le sentais, et ne pouvais le faire. Un froid mortel me serrait le cœur, et je restais sur mon fauteuil.

Smith parti le soir, ou nous nous taisions, ou nous parlions de lui. Je ne sais quel attrait bizarre me faisait demander tous les jours à Brigitte de nouveaux détails sur son compte. Elle n’avait cependant à m’en dire que ce que j’en ai dit au lecteur ; sa vie n’avait jamais été autre chose que ce qu’elle était, pauvre, obscure et honnête. Pour la raconter tout entière, il suffisait de peu de mots ; mais je me les faisais répéter sans cesse, et, sans savoir pourquoi, j’y prenais intérêt.

En y réfléchissant, il y avait au fond de mon cœur une souffrance secrète que je ne m’avouais pas. Si ce jeune homme fût arrivé au moment de notre joie, qu’il eût apporté à Brigitte une lettre insignifiante, qu’il lui