Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dant m’avaient frappé. Il avait pour tout bien un modique emploi qui lui servait à entretenir une mère et une sœur ; sa conduite envers ces deux femmes méritait les plus grands éloges. Il se privait de tout pour elles, et, quoiqu’il possédât comme musicien des talents précieux qui pouvaient mener à la fortune, une probité et une réserve extrêmes lui avaient toujours fait préférer le repos aux chances de succès qui s’étaient présentées. En un mot, il était de ce petit nombre d’êtres qui vivent sans bruit et savent gré aux autres de ne pas s’apercevoir de ce qu’ils valent.

On m’avait cité de lui certains traits qui suffisent pour peindre un homme. Il avait été très amoureux d’une belle fille de son voisinage, et, après plus d’un an d’assiduités près d’elle, on consentait à la lui donner pour femme. Elle était aussi pauvre que lui. Le contrat allait être signé, et tout était prêt pour la noce, lorsque sa mère lui dit : Et ta sœur, qui la mariera ? Cette seule parole lui fit comprendre que, s’il prenait femme, il dépenserait pour son ménage ce qu’il gagnerait de son travail, et que, par conséquent, sa sœur n’aurait point de dot. Il rompit aussitôt tout ce qui était commencé, et renonça courageusement à son mariage et à son amour ; ce fut alors qu’il vint à Paris et obtint la place qu’il avait.

Je n’avais jamais entendu cette histoire, dont on parlait dans le pays, sans désirer d’en connaître le héros. Ce dévouement tranquille et obscur m’avait semblé