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elle me paie d’une raison qui ne peut être la véritable ? Je ne puis lui dire qu’elle ment ni la forcer à répondre autre chose. Elle me dit qu’elle veut toujours partir ; mais, si elle le dit de ce ton, ne dois-je pas refuser absolument ? Puis-je accepter un sacrifice pareil, quand il s’accomplit comme une tâche, comme une condamnation ? quand ce que je croyais m’être offert par l’amour, j’en viens pour ainsi dire à l’exiger de la parole donnée ? Ô Dieu ! serait-ce donc cette pâle et languissante créature que j’emporterais dans mes bras ? N’emmènerais-je si loin de la patrie, pour si longtemps, pour la vie peut-être, qu’une victime résignée ? Je ferai, dit-elle, ce qui te plaira. Non certes, il ne me plaira point de rien demander à la patience, et, plutôt que de voir ce visage souffrant seulement encore une semaine, si elle se tait, je partirai seul.

Insensé que j’étais, en avais-je la force ? J’avais été trop heureux depuis quinze jours pour oser vraiment regarder en arrière, et, loin de me sentir ce courage, je ne songeais qu’aux moyens d’emmener Brigitte. Je passai la nuit sans fermer l’œil, et le lendemain, de grand matin, je résolus, à tout hasard, d’aller chez ce jeune homme que j’avais vu à l’Opéra. Je ne sais si c’était la colère ou la curiosité qui m’y poussait, ni ce qu’au fond je voulais de lui ; mais je pensais que, de cette manière, il ne pourrait du moins m’éviter, et c’était tout ce que je désirais.

Comme je ne savais pas son adresse, j’entrai chez