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mer, et, je vous le jure, j’y suis prêt. Dites-moi si vous restez ou si vous partez, ou s’il faut que je parte seul.

— Pourquoi cette question ? demanda Brigitte ; vous ai-je dit que j’eusse changé d’avis ? Je souffre et ne puis partir ainsi ; mais, dès que je serai guérie ou seulement en état de me lever, nous irons à Genève, comme il est convenu.

Nous nous séparâmes sur ces mots, et la mortelle froideur dont elle les avait prononcés m’attrista plus qu’un refus ne l’aurait fait. Ce n’était pas la première fois que, par des avis de ce genre, on tentait de rompre notre liaison ; mais, jusqu’ici, quelque impression que de pareilles lettres eussent faite sur Brigitte, elle s’en était bientôt distraite. Comment croire que ce seul motif eût aujourd’hui sur elle tant de force, lorsqu’il n’avait rien pu dans des temps moins heureux ? Je cherchais si, dans ma conduite depuis que nous étions à Paris, je n’avais rien à me reprocher. — Serait-ce seulement, me disais-je, la faiblesse d’une femme qui a voulu faire un coup de tête, et qui, au moment de l’exécution, recule devant sa propre volonté ? Serait-ce ce que les libertins pourraient nommer un dernier scrupule ? Mais cette gaieté qu’il y a huit jours Brigitte montrait du matin au soir, ces projets si doux, quittés, repris sans cesse, ces promesses, ces protestations, tout cela pourtant était franc, réel, sans aucune contrainte. C’était malgré moi qu’elle voulait partir. Non, il y a là quelque mystère ; et comment le savoir, si maintenant, quand je la questionne,